Je suis née en 1959 dans Hochelaga-Maisonneuve. C'était à l'époque un quartier ouvrier vivant, rempli d'enfants, où les hommes ne manquaient pas de travail. Puis sont arrivées les années 70 avec leur lot de fermetures d'usines et de manufactures. Le chômage y est devenu endémique, le quartier est devenu dangereux, une partie de ses habitants l'ont déserté. Les rues de mon enfance sont devenues dans les années 80 des rues sinistres et miséreuses.
C'est au début des années 2000 que des promoteurs et des citoyens astucieux ont commencé à voir le potentiel que recelait ce quartier en périphérie du centre-ville. Les anciennes usines ont été transformées en condos, de nouveaux arrivants ont décidé de rénover les triplex, Hochelaga-Maisonneuve s'est remis à vivre. Les familles, qui se tenaient loin de ce quartier, commencent maintenant à revenir et les cris des enfants résonnent à nouveau dans les ruelles.
J'aime ces changements qui s'opèrent là et dans plusieurs autres quartiers. Ce n'est plus le Montréal de mon enfance, mais ça commence à y ressembler, après quelques décennies de morosité. Mais j'aime aussi les gens modestes, ceux qui ne l'ont pas facile. Et j'ai peur pour eux qui sont de plus en plus victimes de la gentrification des quartiers centraux. Ils peuvent de moins en moins se loger dans les quartiers qui les ont vu naître, on les évince comme des indésirables. Et puis il y a tous ces nouveaux cafés et commerces bobos dans lesquels ils ne se reconnaissent pas.
Contrairement à ce que nous laissent croire parfois les médias, ce n'est pas la guerre entre les nouveaux habitants et les populations d'origine. Simplement, l'une est en train de chasser l'autre un peu malgré elle. C'est ce que j'ai envie d'exprimer ici. Dire que tout n'est pas noir ou blanc, mais que le phénomène crée néanmoins sa part de victimes. S'il y a toute une catégorie de spéculateurs qui profite à plein de la hausse des coûts du logement, il y a de
« bons » gentrificateurs qui n'aspirent qu'à améliorer leur qualité de vie. Et ceux-là doivent agir dans le respect de ce qui a été avant eux, doivent réfléchir à des pistes de solution qui feraient de la mixité un idéal plutôt qu'une étape vers la gentrification totale.
Je suis moi-même d'une certaine façon une gentrificatrice. Ce qui ne m'empêche pas d'éprouver un grand attachement envers les gens qui ont peuplé mon enfance et un grand désir qu'ils n'aient plus à se battre pour leur place au soleil.
La gentrification est synonyme de progrès pour les uns, de bouleversement pour les autres. Des Montréalais qui en sont les acteurs, les observateurs, les victimes, témoignent.
Comme bien d’autres villes nord-américaines et européennes, Montréal fait face à la transformation sociale et économique qu’on nomme gentrification. Un phénomène complexe où tout n’est pas toujours noir ou blanc. Il y a d'une part tous ces locataires moins fortunés qui se voient expulsés de leurs logements des quartiers centraux, souvent de manière frauduleuse. Il y a ces hommes et ces femmes qui se battent pour que leur quartier ne deviennent pas un nouveau Plateau Mont-Royal, déjà largement embourgeoisé. Mais il y a aussi ceux qui considèrent le phénomène sous son angle positif, qui parlent de revitalisation de quartiers à l'abandon. Et d'autres, des jeunes entrepreneurs, qui sont victimes de vandalisme et ne comprennent pas pourquoi on s'en prend à leur commerce.
En allant à la rencontre de Montréalais qui vivent la gentrification, qui la subissent ou qui en sont les acteurs, Quartiers sous tension vise à dégager le visage humain du centre de Montréal et à mesurer l’impact de ces changements sur ses habitants. Une manière de marquer autrement le 375e anniversaire de notre ville.