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Jean, lorsqu’on le rencontre pour la première fois, apparaît tel un adolescent comme tant d’autres. Et pourtant sa « petite histoire » se confond avec ce drame absolu de la grande Histoire qu’est le génocide au Rwanda. Toute sa famille y a péri. Lui qui avait cinq ans en a réchappé d’extrême justesse avec des séquelles physiques importantes, aux mains notamment. Les séquelles psychiques, quant à elles, demeurent encore mystérieuses pour moi et pour l’équipe du film qui l’a côtoyé. On dirait aujourd’hui que Jean est un « résilient », tant il semble bien dans sa peau et dans sa tête. Et pourtant, en visionnant les entretiens filmés à l’Hôpital pour enfants de Montréal, avec Déogratias Bagilishya, psychologue lui-même d’origine rwandaise, et Cécile Rousseau, pédopsychiatre responsable de l’unité ethnopsychiatrique, on ressent je crois la blessure intense de ce jeune homme qui cherche ses mots dès qu’il parle des « difficultés et des problèmes (qu’il a) eus ». Jean ne se plaint pas une seconde, ne dit pas mot de colère, il positive à tout moment. Le trauma, s’il existe chez lui, est enfoui, et la haine ou la vengeance avec. Cela ressortira-t-il un jour, sans prévenir? Je l’ignore. Je sais simplement que les thérapeutes, Déo et Cécile travaillent sur les incroyables forces de survie et de vie de ce jeune homme et ne se focalisent pas sur la douleur et le trauma. Seule solution peut-être.
Mya elle aussi est une adolescente a qui on a volé l’enfance, victime d’inceste dès l’âge de cinq ans. Dans le Nord-Est de la France où elle vit, je l’ai rencontré durant plusieurs semaines en présence de sa musicothérapeute Monique Lepezel. Assister à ses séances de thérapies, souvent très lourdes d’ambiance, m’a d’abord fait ressentir de manière très forte et douloureuse la blessure et la cassure chez cette jeune fille ; puis j’ai admiré sa vitalité incroyable et son courage énorme. Mais aussi j’ai eu la sensation que, soit je n’avais pas le droit de voir et d’entendre ce à quoi j’assistais de si intime avec cette thérapie, soit que Mya me donnait quelque chose de très important que je me devais de respecter par-dessus tout. Face à l’éventualité de revenir un jour avec une équipe de tournage, j’ai dû répondre à cette question nécessaire de la pudeur sinon du respect d’un regard, avec ou sans caméra, à porter sur son être. Aujourd’hui, le demi-frère de Mya est en prison et les séances de musicothérapie se terminent doucement… en travaillant notamment avec la cassette du documentaire.
L’impression qui me reste est qu’il faudra certes du travail mais aussi du temps à Mya pour régler le dilemme de son cœur : comment concilier un amour originel pour son grand frère, et une haine envers lui pour avoir abusé et sali cet amour ?
Ahmed est un jeune palestinien de 21 ans, mais son visage n’a plus d’âge, son regard non plus. Moins de deux ans auparavant il a reçu deux balles tirées par un tank lors d’une incursion de l’armée israélienne à Raffah, dans la Bande de Gaza.
Quatre mois de coma et un poumon en moins l’ont handicapé à jamais. « Quand je regarde mon corps je pleure », et il ne supporte plus, lui le grand frère, de ne pas même pouvoir soulever sa petite sœur née alors qu’il sortait du coma. J’ai rencontré Ahmed et sa famille dans le camp de Chaboura à Raffah, où ils vivent désormais depuis ce jour où Ahmed fut blessé et leur maison détruite.
L’organisation humanitaire Médecins Sans Frontières (MSF) a développé depuis la première Intifada un programme de santé mentale dans la Bande de Gaza et en Cisjordanie. Christian Lachal, ethnopsychiatre français et initiateur de ce programme, m’y a convié et a permis à notre équipe de rencontrer plusieurs individus ou familles pris en charge par les psychologues de MSF. Nous avons ainsi pu filmer un bilan de thérapie avec Ahmed en présence de sa mère, traumatisée elle aussi d’une manière particulière et fréquente en cas de guerre : enceinte en même temps qu’Ahmed était dans le coma, consciemment ou non elle ne désirait plus donner la vie à l’enfant à naître : « Je me disais : si je perds Ahmed, c’est pas celui qui vient qui va le remplacer, qu’il meure ou qu’il vive, ça m’est égal ».
Peu après la réalisation de ce film, Stéphanie m’apprit que son agresseur venait d’être condamné à vingt ans de prison. Douze autres femmes violées par cet homme étaient parties plaignantes au procès. Le premier regard que j’ai posé sur Stéphanie est celui d’un homme qui trouve qu’une femme est belle, ce qu’elle est. Mais je me suis senti coupable d’une telle pensée… Plus tard, lors du bilan de thérapie filmé, Stéphanie dit à peu près ceci de son agresseur : « il m’a donné une part de sa perversion… j’ai dû faire la part de ce qui était de lui et de ce qui était de moi, et j’ai fini par me dire : c’est lui qui est malade, pas moi »… effet pervers de la violence. Alors je me suis dis aussi que n’étant pas malade, j’avais le droit de regarder cette femme pour ce qu’elle est, et non uniquement pour ce qui lui est arrivé. Je me trouvais dans le bureau de Carole Damiani, psychologue de l’association Paris Aide aux Victimes, thérapeute de Stéphanie. Très vite j’ai été impressionné par l’extrême finesse de propos et l’intelligence d’analyse de Stéphanie sur son propre traumatisme. C’est encore ce qui me reste aujourd’hui et que l’on retrouve dans le film je crois. Enfin, je pense au courage qu’il faut souvent aux victimes quand elles croient pouvoir tourner la page avec le procès et que l’agresseur condamné fait appel. Dans l’attente du premier procès, lors du tournage, Stéphanie nous disait « tant qu’il n’a pas eu lieu, je n’arrive pas à être heureuse et apprécier des évènements très positifs qui arrivent dans ma vie ». Installée à Marseille avec son compagnon, elle doit continuer à vivre, sans tourner la page.
Ala a neuf ans et sa sœur Barra a sept ans. Ils sont comme Ahmed, pris en charge par les psychologues de MSF et Christian Lachal. Leur histoire est pour moi le symbole d’une violence et d’un traumatisme qui se perpétuent, au quotidien, et avec lesquels ils vivent depuis qu’ils sont nés. Au rythme des Intifadas, sept rangées de maisons ont été détruites devant la leur qui se retrouve alors en première ligne de tirs du mirador israélien, sur la ligne de frontière entre Raffah et l’Egypte.
Ala et Barra sont des enfants, comme tous les enfants ils aiment jouer avec leurs copains, ils aiment leur famille ; Ala élevait des pigeons sur le toit de sa maison mais ils ont tous été tués une nuit lors d’une incursion ; et Barra qui, comme 90% des enfants en Palestine, évacue le stress par le pipi au lit, ne quitte plus, d’une main son chat Rojanna et de l’autre main, sa mère.
Cela c’était avant le tournage, puisque quelques semaines après le tournage leur maison a été détruite, parmi une centaine d’autres, lors de l’opération dite « arc-en-ciel », visant à trouver des tunnels passant sous les maisons et qui servirait à faire passer des armes depuis l’Égypte. Aujourd’hui MSF cherche encore où la famille a pu se réfugier. La violence au quotidien.
À l’origine de ce film, une idée bizarre que j’ai eue : « si je pouvais isoler le virus de la violence, le mettre dans une éprouvette, le regarder à la loupe, pour pouvoir dire : c’est ça la violence ! ».
Depuis plusieurs années je réalise des films autour de la violence et je suis frappé par une question qui revient immanquablement dans la bouche des victimes, la première souvent qu’elles se posent et que parfois elles se posent toute leur vie : « Pourquoi ? ».
Tenter de comprendre ce que c’est au fond que la violence humaine implique selon moi de la questionner « droit dans les yeux » plutôt que de la rejeter ou la nier ; un engagement à long terme dans mon métier de réalisateur. Cette réflexion est nécessaire à mener, il me semble, à une époque où nos sociétés modernes ont atteint un niveau de connaissance, d’expérience et de science sans précédent mais semblent incapables d’empêcher guerres et génocides de se multiplier, maltraitances, pédophilie et viols de proliférer.
Ce film interroge précisément l’impact de la violence, celle qui existe et existera probablement toujours, parce qu’elle est une part de nous-mêmes, êtres humains, tellement inhumains parfois.
Le Deuil de la violence à faire est alors pour la victime, apprendre à survivre, à comprendre et dépasser cette « rencontre avec la mort » qui définit un traumatisme.
Même si très peu de victimes dans le monde y ont accès, les psychothérapies m’on semblé un « terrain idéal » pour aborder ce questionnement. En thérapie, médecins et patients tentent de donner du sens aux « Pourquoi ? ». Ce film s’aventure alors prudemment sur la route de la violence multiforme et donc universelle. Le danger étant de présenter un catalogue sordide des agressions infinies dont nous sommes capables. Nous aurions pu aller n’importe où sur la planète où pullule, sous une forme ou une autre, la violence, et nous aurions pu filmer des victimes de tout acte abusif imaginable.
Au fil de mes recherches et de mes rencontres, je me suis finalement arrêté sur cinq parcours thérapeutiques, cinq « Pourquoi ? » et leur lot de souffrance, d’espoir, de courage, d’intelligence… d’humanité.
Olivier Lassu
Une réflexion sur le traitement thérapeutique des traumatismes de victimes de violence, au Québec, en France et dans la Bande de Gaza.
Le Deuil de la violence cherche à décoder les effets psychiques de la violence des humains envers leurs semblables. Pour ce faire, nous suivons les pas de plusieurs thérapeutes, français et canadiens qui, de Paris à Montréal, en passant par la Bande de Gaza, confrontent leur pratique à des victimes dans des contextes très divers.
Amenés à réfléchir en même temps sur le traitement thérapeutique des traumatismes de femmes, enfants, hommes ou vieillards victimes de guerre, de torture, de génocide, de viol ou d’inceste, ces soignants, personnages principaux du film, adaptent leurs thérapies à chaque cas, de la psychothérapie à l’ethnopsychiatrie, de l’art-thérapie à la thérapie d’urgence humanitaire.Lors de séances et d’entretiens bilans organisés entre thérapeutes et patients, nous cherchons à mieux cerner l’impact, l’essence de cette violence humaine.
Le Deuil de la violence repose sur un postulat de départ audacieux bien que scientifiquement soutenu : la violence engendrerait, quel que soit l’âge ou le sexe de la victime, quelle que soit sa culture, et quel que soit le type d’agression qu’elle ait subi, des symptômes traumatiques semblables. Ainsi, toute personne traumatisée par une agression ponctuelle ou répétée, pour survivre et revivre, va devoir emprunter le parcours similaire d’un deuil de la violence.