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Comédien et dramaturge québécois, souvent considéré comme le père du théâtre moderne au Québec.
Vie et œuvre
« Créateur de Fridolin, stand-up comic avant Yvon Deschamps et les Juste pour rire, père de Bousille et de Ti-Coq, directeur de théâtre, acteur à la scène mais aussi à l’Union des artistes, Gratien Gélinas a tracé des sillons pour une ou deux générations d’artistes qui émergeront ensuite de la Grande Noirceur duplessiste. Marcel Dubé, Françoise Loranger et plus tard Michel Tremblay lui doivent d’avoir soulevé la chape d’un théâtre jusque-là très franco-français sur les scènes d’ici.
Né à Saint-Tite, en Mauricie, le 8 décembre 1909, Gélinas « monte » à Montréal pour le collège et s’oriente d’abord vers les Hautes Études commerciales. Initié à la vie artistique dès 1929 par le théâtre amateur – il fonde même sa troupe avec des anciens camarades du Collège de Montréal – Gratien Gélinas devient comédien professionnel en 1936.
L’année suivante, il crée à la radio son fameux personnage de Fridolin, gamin espiègle qui décortique avec candeur mais ironie la vie quotidienne de la société canadienne-française d’avant-guerre. Le succès, instantané, mène son personnage sur la scène du Monument national en 1938, et jusqu’en 1946, avec les revues annuelles Fridolinades.
Le pouvoir, l’argent, le Canada anglais, l’Église même – ô sacrilège – sont passés en revue (musicale) dans des sketches, monologues et chansons populaires. C’est Yvon Deschamps et Les unions, qu’ossa donne? bien avant leur temps, mais bien au goût de son temps à lui, Gélinas, qui utilise les genres populaires (revues musicales à la Ti-Zoune) pour éditorialiser sur le quotidien de ses contemporains.
Pendant cette période des Fridolinades, qui recouvre toute la Deuxième Guerre, Gélinas trouve encore le temps de fonder une compagnie de cinéma, Excelsior ; il écrit et réalise en 1942 le film-parodie La Dame aux camélias, la vraie qui serait le premier film parlé de fiction en couleur au Canada.
Après la guerre, il abandonne Fridolin pour un nouveau personnage, Tit-Coq, un orphelin qui a « adopté » une famille et qui s’éprend de la belle de la maison, avant de partir pour la guerre. Mais la belle n’attendra pas le « bâtard ».
Grand succès sur scène dès sa création, en 1948, Tit-Coq est ensuite adapté pour le cinéma en 1952, alors que la version anglaise de la pièce fera le tour du pays, et même une virée aux États-Unis. Ici, la pièce sera jouée sans interruption de septembre 1948 à juin 1949.
En 1957, Gélinas fonde la Comédie canadienne, qu’il dirigera jusqu’en 1972. Il affirme alors sa volonté de « fonder un mouvement de théâtre dont la fonction première est de contribuer, par la création d’oeuvres canadiennes, à l’établissement d’une identité nationale dans les arts de la scène ».
Jamais si bien servi que par lui-même, il crée en 1959 à la Comédie Canadienne sa nouvelle pièce, Bousille et les justes, satire comique mais cruelle de la société québécoise paysanne, tricotée serrée, fourbe sous ses allures généreuses de catholiques. La Révolution tranquille pointe côté jardin.
Il participe à la fondation de l’École nationale de théâtre, en 1960, où des dizaines d’acteurs pourront acquérir une formation sans apprendre « sur le tas » ou avec le père Legault.
En 1966, il crée à « sa » Comédie Canadienne Hier les enfants dansaient, dans laquelle une famille est divisée jusqu’à l’éclatement par les divergences politiques – les fils sont souverainistes, peut-être même terroristes, le père doit renoncer à une nomination au gouvernement.
Gélinas y suit toujours de près la société qui l’entoure – la première bombe du Front de libération du Québec avait éclaté en 1963. Et en 1969, Gélinas accepte – justement – une nomination au gouvernement fédéral : président du conseil de la toute nouvelle Société de développement de l’industrie cinématographique canadienne, ancêtre de Téléfilm Canada, poste qu’il occupera pendant neuf ans.
Il publie en 1980 la « compilation » de ses Fridolinades, qui pourront ainsi être reprises en partie par des plus jeunes – le comédien Denis Bouchard l’a fait en 1990 chez Duceppe.
Et en 1986, il crée avec sa femme, Huguette Oligny, La Passion de Narcisse Mondoux, qu’ils joueront aussi bien en français qu’en anglais un peu partout au Canada et aux États-Unis.
On l’a vu aussi à l’écran dans la série Les Tisserands du pouvoir, Bonheur d’occasion et Agnes of God, en plus bien sûr de ses propres films.
Son statut de pionnier de la dramaturgie d’ici n’a pas échappé au Centre d’essai des auteurs dramatiques, qui a créé en 1991 le Fonds Gratien-Gélinas pour la promotion de la dramaturgie québécoise.
Le cinéaste Claude Godbout lui a consacré en 1982 un documentaire, Gratien Gélinas : le gagnant. »
"Le théâtre québécois perd son père", Bulletin Amérique, Assemblée parlementaire de la Francophonie, Région Amérique, vol. 9, no 2, novembre 1999
Source : https://agora.qc.ca/mot.nsf/Dossiers/Gratien_Gelinas
Touchant (…) Le documentaire nous montre l’autre côté du succès et de l’ambition du fondateur de la Comédie Canadienne : sa fragilité, sa peur du rejet
On ne soulignera jamais assez à quel point le simple fait de jeter les bases d’une dramaturgie, dans le contexte de son époque, relève de l’exploit
Un documentaire absolument fascinant… Un coup d’œil et un regard de l’intérieur sur cet homme vraiment hors de l’ordinaire, l’inventeur du théâtre national, il faut le dire. À découvrir, ou à redécouvrir !
Rendez-vous du cin?ma qu?b?cois (RVCQ) Montr?al 2010
Banff World Television Awards (Rockie Awards) Finaliste dans la cat?gorie Meilleur documentaire francophone 2010
Prix G?meaux Finaliste dans les cat?gories Meilleure biographie ou portrait, Meilleur sc?nario documentaire et Meilleure musique originale 2010
Rendez-vous du cin?ma qu?b?cois et francophone de Vancouver 2011
À l’été de mes 17 ans, après avoir navigué quelques jours sur le fleuve avec mon père, nous avons tous deux pris le train à Mont-Joli pour revenir à la maison. Durant de longues heures cette nuit-là, pour la première fois, j’ai eu mon père rien qu’à moi et je lui ai demandé de me raconter sa vie. Longuement, il m’a parlé de ses années d’étudiant, qu’il avait tant aimées, puis de sa carrière, à partir des débuts. J’étais fasciné par l’audace de cet homme, et par sa volonté constante de créer un art populaire.
Il y a dix ans, j’étais à ses côtés avec mon frère Michel la nuit où il est mort. L’aîné et le cadet devant leur père qui cesse de respirer. Dans les jours qui ont suivi, j’ai bien vu la notoriété dont jouissait Gratien Gélinas. Les médias ont fait le survol de son étonnante carrière, et ses funérailles ont été télédiffusées en présence de ses proches, de nombreux artistes et politiciens.
Mais que savait-on de sa vie intime? De sa passion pour la scène ? De son besoin viscéral d’être reconnu ?
Toute sa vie il a eu besoin du succès comme d’une drogue, et sa création s’enracine dans les souffrances d’une enfance marquée par la fuite de son père. C’est ce qui le rendait vulnérable. Avec le temps, j’ai compris que mon père se sentait orphelin, et que sa devise intérieure était : être ou ne pas être… le meilleur !
Pour nous, il n’était pas le père idéal. Mais le miracle, c’est qu’il a su être le reflet de son milieu, et qu’en ouvrant le chemin pour d’autres, ce géant aux pieds d’argile est devenu le père de notre dramaturgie.
Pascal G?linas
Dans notre histoire culturelle, Gratien Gélinas est un précurseur. Avec ses personnages de Fridolin, Tit-Coq et Bousille, avec la création de la Comédie Canadienne, Gélinas contribue à la naissance d’une dramaturgie québécoise moderne. Il participe ensuite à l’essor de la télévision et d’un cinéma véritablement contemporain. Raconter sa vie, dont on célèbre le 8 décembre 2009 le centième anniversaire de naissance, c’est révéler l’histoire intime de celui qu’on surnomme « le père du théâtre québécois ». C’est aussi, pour son fils, mettre en scène un auteur et comédien adulé, mais qui a toujours vécu avec l’angoisse d’être rejeté.
On a surnommé Gratien Gélinas « le père du théâtre québécois ». C’était un créateur terriblement volontaire, qui écrivait dans l’effort et le doute. Un fonceur qui a constamment tout misé pour gagner la reconnaissance du public. Et sans être beau, sans être grand, il réussit à les toucher avec son Fridolin, un petit gars du quartier, son Tit-Coq, à la recherche d’une famille, et son Bousille, que l’on sacrifie ; trois personnages-clés qui ont marqué leur époque.
S’il avait un besoin insatiable de s’installer dans le cœur du plus grand nombre, Gratien Gélinas avait en même temps la vision d’un théâtre populaire qui rejoint la majorité, qui est le miroir de ses réalités et de ses émotions. Pour la première fois, il présente au public québécois des personnages qui lui ressemblent, qui parlent sa langue, qui le font rire et pleurer tout à la fois. En fondant la Comédie Canadienne, il ouvre la porte à une nouvelle génération d’auteurs, les Françoise Loranger, Marcel Dubé, Jacques Languirand, Félix Leclerc, Gilles Richer. Il participe aux premières années de la télévision, puis à l’essor d’un cinéma véritablement contemporain. C’est un précurseur qui a consacré toute son énergie à transformer l’image que nous avions de nous-mêmes.
À l’occasion du centenaire de sa naissance, le film Gratien Gélinas, un géant aux pieds d’argile rappelle le créateur exceptionnel qu’il était, et fait revivre tout un pan de l’histoire culturelle québécoise. Il permet aussi à son fils Pascal de jeter un éclairage inédit sur un père qui a été un auteur et un comédien adulé, mais qui a toujours vécu dans l’angoisse d’être rejeté.
Avec la très belle musique de Catherine Major, et la participation de gens qui l’ont côtoyé, tels Denise Filiatrault, Dominique Michel, Monique Miller, Huguette Oligny, Béatrice Picard, Denis Bouchard, Michel et Yves Gélinas, Jacques Languirand, Michel Tremblay, Jean-Louis Roux, ce documentaire porte le regard tendre et pénétrant d’un fils sur son père. Les films de famille, tournés par Gratien pendant 30 ans, se mêlent aux extraits des ses œuvres et révèlent, à travers l’histoire officielle, la vie intime d’un visionnaire tourmenté.